samedi 17 octobre 2015

Chapitre 1

Je me repassais sans arrêt cette scène affreuse dans ma tête : sa chemise imbibée de sang. Le poignard dans ma main. La sirène de la police qui hurle. Puis le fer autour de mes poignets. J'avais dit une seule phrase, saccadée par mes sanglots : « Je ne l'ai pas tué, je vous jure! ». Et me voilà en prison depuis plus d'une semaine, en attente de mon jugement. C'est con, je venais d'avoir dix-huit ans : me voici avec des criminelles, des droguées, des femmes à moitié tarées. Oui, moi, Océane Borcelli ( ça se prononce Bortchéli ), 18 ans, en attente de jugement pour meurtre familial, matricule 0259751586 dans la prison pour femmes de Lyon.
Ils m'avait isolée avant mon jugement : ils ne savaient pas encore si j'étais une dangereuse criminelle, une possédée, une psychopathe, une schizophrène,... ils sont un peu paranoïaques ces juristes et officiers de police. J'étais donc seule dans ma cellule inconfortable. Seule avec mes démons intérieurs, avec mon remord, avec ma tristesse.

J'avais une folle envie de suicide  ; de toute façon, il n'y avait personne pour me regretter. J'aurais tellement aimé qu'à mon jugement il y ait ma mère. Mon frère. Et mon père. Enfin, ma famille qui me regarderait en secouant la tête, déçus de moi et choqués. Mais ils sont tous morts, et il ne restait plus que moi dans la famille des Borcelli. Une misérable orpheline en attente de son jugement entre des barreaux de fer.
De toute façon, je me disais que je pourrirais ici ; ils avaient toutes les preuves pour m'accuser. C'est vrai, la police était déjà là quand je l'ai tué. Ou plutôt quand mon corps l'a tué ; c'est vrai, je n'avais aucunement l'intention de faire cette chose répugnante...

J'étais allongée sur ma couchette en bois quand j'ai entendu tourner une clé dans la serrure de ma cellule. Je me suis immédiatement redressée, alerte. Un homme venait d'entrer : il portait un costume d'agent de sécurité mais était plutôt petit et maigre.
- mademoiselle Borcelli, je viens vous annoncer que votre première audience aura lieu demain matin, de dix heures à midi. Un gardien viendra vous réveiller à neuf heures et demies, vous aurez quinze minutes pour vous préparer puis un camion sécurisé vous emportera au tribunal.
Il me tendit une tablette de chocolat en souriant.
- J'imagine à quel point c'est difficile pour une jeune femme de votre âge d'avoir affaire à la justice. Je suis de tout cœur avec vous, Océane. Bonne chance pour demain, reposez vous.
Sur ce, il ferma la porte à clé, me laissant seule avec les ombres des barreaux que la lumière jaunâtre du couloir projetaient. Après avoir savouré la tablette de chocolat, je fermais les yeux et sombrais petit à petit dans un sommeil tourmenté.

*

J'avais neuf ans. L'oreille collée à la porte, j'écoutais mes parents parler dans leur chambre. Ma mère pleurait toutes les larmes de son corps, et mon père parlait avec difficulté.
- Tu es sûre chérie ? Demanda mon père. C'est un cauchemar, hein ? Réveille moi Sylvia !
- Je ne comprends pas, dit ma mère entre deux sanglots. Il était là, en vélo, à coté de moi, juste à côté de moi. Puis une voiture est arrivée, et... il s'est fait percuté avec une telle violence qu'il a été propulsé à plusieurs mètres de moi. J'ai accouru, il était en sang et évanoui. Je suis ai fait la RCP, comme les pompiers me l'avait apprit. La voiture était partie mais quelques personnes se sont arrêtées et ont appelé les secours, mais, quand il sont arrivés, il était trop tard...
Elle fondit en larmes et j'entendis mon père la rassurer.
- Mon petit bébé ! Mon fils ! Notre enfant à nous ! Mourir si jeune... à neuf ans... comment va-t-on l'annoncer à sa sœur jumelle ? Comment Océane va le prendre ? Il ne lui reste que toi et moi comme famille...
Je me laissais couler sur le battant de la porte, sous le choc, puis courais  jusqu'à ma chambre. Et là, je pleurais toutes les larmes de mon corps. J'allais devenir orpheline, petit à petit.

*

Je me réveillais brusquement et constatait que mes joues étaient trempées. Replongée en enfance, je m'exclamais :
- Papa ! J'ai fait un cauchemar...
Puis je revins rapidement à la réalité quand je vis le gardien me faire signe de me taire, ainsi que les barreaux. Je sanglotais de plus belle et répétais comme un mantra endiablé :
- Il est mort. Il est mort. Il est mort. Il est mort.
Puis, je ne sais pourquoi, j'explosais dans un rire hystérique. Je ne me reconnaissais plus... Je me calmais soudainement, et un gardien vint m'ouvrir la porte. C'était un Noir grand, baraqué, intimidant, qui me regardait d'un regard sévère.
- Il faut arrêter de rire hystériquement comme cela, mademoiselle Borcelli. Ici c'est une prison, pas un asile.
Il m'agrippa par le poignet en serrant tellement fort que j'ai cru que ma main allait se détacher, et m'emmena jusqu'à une salle de bain minuscule et sale. Au fond, il y avait une douche sans rideaux avec une petite savonnette.
- Vous avez un quart d'heure pour vous préparer. Pas une minute de plus. Vous avez des vêtements propres posés sous le lavabo. Avec deux autres gardiens, nous viendrons vous embarquer dans le camion qui doit vous transporter au tribunal
Il se retourna et claqua la porte avec une telle violence que les murs tremblèrent.

Après avoir prit une douche et enfilé les vêtements propres ( à savoir des sous vêtements beaucoup trop petits, un jean trop grand, un t-shirt avec écrit « sauvons les abeilles » trop serré qui me compressait la poitrine et des chaussures de taille 42 alors que je faisais à peine du 37 ), les gardiens vinrent me chercher et m'emmenèrent, menottée, jusqu'au camion.
Le voyage dura une dizaine de minutes, une dizaine de minutes pendant lesquelles je stressais à m'en rendre malade. Puis le camion s'arrêta et le conducteur effectua son créneau.
On me poussa à l'extérieur, deux gars baraqués me tenant fermement par les épaules. Comme si j'allais tenter de fuir avec une demie douzaine de gars armés et musclés comme quatre. Ah la la, qu'est ce qu'ils sont paranoïaques ces gens.

À l'intérieur de la salle d'audience, tout le monde était silencieux ; ce silence pesant me gênait. Tout le monde me fixait comme si j'étais l’abomination du siècle. Je baissais la tête, honteuse.
Le juge me surplombait de toute sa hauteur, et avec sa longue robe noire à col banc, on aurait dit la Mort dans un corps humain. Mon avocat m'encourageait, même s'il savait que j'allais être dite coupable. C'était un de ces avocats merdiques qu'on donne aux gens pauvres ou sans argent qui ont affaire à la justice ; et c'était mon cas.
Le Juge prit la parole :
- Mademoiselle Océane Borcelli, nous sommes tous ici présents pour juger de votre présumé meurtre envers votre père, Migel Borcelli. Pour être jugée équitablement et justement, vous devez faire serment : promettez vous de dire toute la vérité et rien que la vérité ?
J'hésitais vraiment à croiser les doigts et à tordre ma langue dans ma bouche ; je n'aime pas faire des serments que je risque de ne pas tenir. Néanmoins, après avoir bruyamment déglutit, sans croiser quoi que ce soit, j'annonçais :
- Oui, Monsieur le Juge. Je jure de dire toute la vérité et rien que la vérité, quel qu'en soit le prix.

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